lundi 29 novembre 2010

L'inconnu de la montagne, reportage par Kouloupi

« Kouloupi, étant sur la route des Princes d’Orange, prit le chemin de Sainte –Colombe. Il fit quelques centaines de mètres et vint s’asseoir sur la caillasse des premières pentes par lesquelles on accède à la bergerie des "chiquets".


S’étant assuré de la configuration des lieux- en contre bas,  le lit à sec du torrent ; devant, la rencontre des vallées ; à mi-pente, des champs cultivés ;  à l’horizon, les dernières chaînes de montagnes au flanc des quelles, comme des points blancs, s’alignaient trois ou quatre fermes-, il tira de sa poche un carnet semblable à celui d’un chef de chantiers.

Ne considérant rien qui lui fût à cœur ou objet d’une pensée, il traça quarante enchainements, dont le premier est donné, à titre d’exemple, au pied de ce texte. Ces enchainements constituent « L’inconnu de la montagne ».

Il écrivit rapidement, sans hésiter jamais, si bien que sa tâche était terminée avant midi.
De ces enchainements procèdent, au fil du temps, des planches de traits et couleurs, au nombre de quarante également.

Ayant terminé cette tâche, beaucoup plus tard, il voulut classer les planches dans leur ordre originel. Mais, irrémédiablement, la confusion l’emporta, l’ordre premier fut perdu. Et cela ne suffit pas: le chiffre de quarante ne put pas être atteint car quel  que planche avait été perdue. L’inconnu même s’était ainsi dérobé et demeurait, à l’improviste, tel.

« Si, se disait le Kouloupi, je rencontre quelqu’un que je n’ai jamais vu ou dont je n’ai absolument aucun souvenir, je dis : son visage m’est inconnu, qu’en est-il ? Vraiment,  je ne puis dire, l’ayant face à moi que je ne le vois pas, que je ne le connais donc pas. Alors, je réfléchis, je dis : je m’exprime mal ; je dois déclarer : je ne me souviens pas avoir jamais rencontré ce visage, qui est devant mes yeux maintenant et qui m’est maintenant connu, et non pas  inconnu.
Si je n’ai pas le souvenir de ce que j’ai maintenant sous les yeux, je ne puis donc dire que je suis face à l’inconnu, à moins que je n’admette un droit à l’existence de l’inconnu lui- même en tant que tel. Mais si je reconnais ce droit, je le reconnais pour ce que conserve ma mémoire et dont je me souviens. » (Texte inséré à la plume dans l'œuvre)


Enchainement de la série "l'inconnu de la montagne" (10  sur 100)
(52x42 cm, encre et gouache)